L’accès aux services publics dans les territoires ruraux : résultats de l’enquête de la Cour des comptes

28 mars 2019

À la demande du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, la Cour des comptes a réalisé une enquête sur l’accès aux services publics dans les territoires ruraux. Voici la synthèse de son rapport publié en mars 2019.

1. Des territoires ruraux en recul dont la géographie et la sociologie rendent l’accès aux services publics difficile

D’un point de vue géographique, ces territoires, le plus souvent non desservis par les grandes infrastructures de transports, sont marqués par une faible densité de population, une proportion élevée et croissante de personnes âgées, un relatif déclin économique et une faible attractivité, y compris pour pourvoir les emplois nécessaires au fonctionnement des services publics, condition essentielle de leur bon fonctionnement.

Pour la Cour, affinant en quelque sorte ses recommandations traditionnelles, la dématérialisation ne peut constituer une solution aux difficultés d’accès aux services publics constatées dans ces territoires qu’à deux conditions cumulatives. La première, les infrastructures numériques doivent être améliorées dans les zones rurales qui restent marquées par des insuffisances persistantes. La seconde, des dispositifs d’accompagnement de la population dont l’âge et les caractéristiques socio-économiques compliquent l’usage des instruments numériques doivent être mis en place.

Si ces deux conditions n’étaient pas réunies, la dématérialisation risque de renforcer le sentiment d’exclusion qui est parfois celui de leurs habitants.

2. L’évolution des réseaux de services publics, densité maintenue et dématérialisation

La Cour a analysé la présence des services publics nationaux et son évolution dans les territoires ruraux au cours des années récentes, à partir de données nationales et locales.

Selon elle, contrairement à une perception répandue, il n’y a pas eu d’abandon généralisé de ces territoires par les grands réseaux nationaux de services publics : rapportée à la population, leur présence physique y reste dense, dans certains cas davantage même que dans les autres parties du territoire national. Elle connaît néanmoins une évolution différenciée en fonction de la nature des services et des besoins de la population. Cette différenciation est appelée à croître dans les années à venir. Les travaux menés permettent d’identifier trois catégories de réseaux.

a) Des réseaux dont la densité est justifiée par leur mission ou inscrite dans la loi

Il en est ainsi de la gendarmerie nationale, de l’éducation nationale et de La Poste, dont le maillage territorial en zone rurale reste dense.

Pour la Cour, ce maillage n’interdit pas une réorganisation permettant d’en améliorer la qualité. Ainsi la réforme de la gendarmerie aurait permis, selon la Cour, d’adapter le réseau « aux conditions de mobilité » et « aux besoins de sécurité » qui prévalent dans les zones rurales, « sans diminuer ses effectifs globaux ». Il en irait de même pour l’école (regroupements pédagogiques, qui permettent d’améliorer la qualité des prestations éducatives) et pour La Poste (la transformation des points de contact aurait permis de répondre à la diminution du courrier et à l’élargissement des plages d’ouverture).

b) Des services ayant vocation à être normalement accessibles en ligne

D’autres réseaux de services ont déjà basculé vers la dématérialisation des procédures ou ont vocation à le faire, dans les zones rurales comme ailleurs.

C’est le cas au sein du réseau préfectoral pour la délivrance des titres réglementaires, qui se fait désormais en lien avec les mairies, qui assurent pour certains titres le recueil des données et la délivrance des titres. L’accueil du public a ainsi disparu du réseau des préfectures et des sous-préfectures.

Cela devrait être aussi le cas de la DGFiP pour l’essentiel des procédures de déclaration et de paiement, dorénavant accessible en ligne, où elles se feront de plus en plus systématiquement. Cela doit rendre possible une rationalisation trop longtemps différée, de son réseau : sa trop grande dispersion serait pour la Cour devenue un risque pour la qualité et la continuité du service.

c) Une demande mal mesurée : l’accès aux soins et la prise en charge de la dépendance

La couverture médicale et la prise en charge de la dépendance nécessitent une présence physique. Or, à l’inverse des autres réseaux de services publics, celle-ci résulte de « micro-décisions » de praticiens libéraux ou d’acteurs privés et publics et non d’une planification d’ensemble.

Les difficultés d’accès aux soins ne sont pas propres aux territoires ruraux mais ceux-ci, en raison de leur démographie, du vieillissement et de l’isolement de leur population, connaissent des besoins spécifiques en la matière.

Comme pour les autres services publics, le numérique, au travers de la télémédecine et la mutualisation de l’offre, grâce notamment aux maisons de santé pluridisciplinaires, peuvent répondre y répondre en partie : ces structures compensent la faible attractivité des territoires ruraux pour les professionnels de santé en leur assurant un soutien administratif et une organisation partagée du travail.

La prise en charge de la dépendance est un défi pour les territoires ruraux, en particulier pour le maintien à domicile des personnes âgées. Le taux d’équipement et d’encadrement des EHPAD y est supérieur à la moyenne nationale mais l’amélioration de la prise en charge des personnes âgées y est néanmoins indispensable. Elle devrait viser davantage à organiser le maintien à domicile à partir des EHPAD.

3. Les politiques nationales d’accessibilité : sortir de la répétition

L’objectif de garantir l’accès aux services publics dans les territoires ruraux est affiché par l’État depuis plus de 30 ans. Dès 1985, la loi dite « Montagne » ambitionnait de réévaluer le niveau des services publics et d’en assurer la qualité, l’accessibilité et la proximité.

La Cour a repéré deux réponses qui ont émergé au fil des années sous des intitulés changeants : les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public (SDAASP) ; les structures mutualisées d’accès aux services publics : maisons de services au public (MSAP), héritières des relais de service public, ou maisons de santé pluri-professionnelles.

a) Des schémas départementaux à conforter

Pour la Cour, les réformes de l’organisation territoriale et les nouvelles répartitions de compétences ont abouti à une très grande complexité et à des chevauchements des responsabilités en matière de présence locale des services publics. Les lois successives auraient multiplié les schémas d’organisation les concernant sans les coordonner, ni les hiérarchiser.

La Cour formule des recommandations pour rationaliser les différents schémas prévus :

  • en privilégiant l’échelon du département et les SDAASP ;
  • en mieux les articulant avec les autres outils de planification existants, régionaux et infra-départementaux,
  • en fléchant prioritairement les financements de l’État relatifs à l’accès aux services publics.

b) Les MSAP, un modèle de service public de proximité à consolider et à financer

Avec la rétractation des réseaux et la fermeture des guichets accompagnant la dématérialisation, les MSAP offrent un accompagnement permettant aux usagers d’accéder à distance aux services de six opérateurs nationaux (dont Pôle emploi, les services sociaux1 et plus rarement GRDF).

Elles doivent, par ailleurs, se donner les moyens de constituer un véritable réseau dont la taille doit résulter d’une approche locale partant des besoins identifiés dans les SDAASP et non d’objectifs quantitatifs nationaux.

En outre, pour la Cour, les modalités de leur financement doivent être redéfinies pour concerner toutes les administrations et entreprises publiques utilisatrices, dans le cadre d’une contractualisation pluriannuelle.

c) Les maisons de santé pluri-professionnelles : un outil intéressant à la réussite variable

Les maisons de santé pluri-professionnelles constituent un outil pertinent, qui permet d’améliorer l’accès aux soins dans les zones rurales. Outre la nécessité de définir un projet médical préalable, condition de leur réussite, elles devraient s’inscrire dans une démarche conjointe des différents acteurs des politiques de santé : collectivités territoriales, agences régionales de santé, caisses primaires d’assurance maladie, tant au travers de la définition des implantations que dans les moyens financiers mis en œuvre.

Cette mutualisation des ressources existantes pourrait concerner aussi la réalisation d’un certain nombre d’actes par les pharmaciens (exemple : les vaccinations) dont le réseau, par sa densité et sa proximité, constitue souvent, de facto, le premier échelon d’accès aux soins dans les zones rurales.

La Cour des comptes salue enfin la création d’un millier de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) – prévue par le Plan « Ma santé 2022 » – regroupant des professionnels libéraux (médecins généralistes et spécialistes, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pharmaciens), coopérant avec les établissements de santé et médico-sociaux et organisant le premier recours aux soins de l’ensemble des habitants d’un territoire donné : accès à un médecin traitant et à des spécialistes, consultation non programmée dans la journée en cas de nécessité, préparation des sorties de l’hôpital, maintien à domicile des personnes fragiles, actions de prévention. En outre, 500 à 600 hôpitaux de proximité, labellisés parmi les établissements en activité (ex-hôpitaux locaux, centres hospitaliers), assureront une prise en charge de premier niveau en médecine polyvalente, en gériatrie et en soins de suite et de réadaptation, avec des plateaux techniques légers (biologie, imagerie, explorations) et la participation de médecins de ville.

Téléchargez le rapport de la Cour des comptes en cliquant ici.