« A l’approche des élections » … La semaine précédant le scrutin : gare aux révélations !

5 mars 2020

Avant d’annuler une élection au motif qu’une manœuvre a été commise par la liste arrivée en tête, le juge électoral se demandera si l’adversaire victime de cette manœuvre a été, ou non, en mesure d’y répliquer utilement.

Cette exigence traditionnelle du juge électoral a trouvé une consécration légale, la loi n°2011-412 du 14 avril 2011 ayant introduit dans le code électoral un article L.48-2 aux termes duquel « il est interdit à tout candidat de porter à la connaissance du public un élément nouveau de polémique électorale à un moment tel que ses adversaires n’aient pas la possibilité d’y répondre utilement avant la fin de la campagne électorale ».

La capacité du candidat visé par la manœuvre à répondre sera mesurée sous trois aspects : le temps nécessaire à la réplique, les moyens matériels de diffusion de cette réplique, et la nature même de l’allégation dont le candidat est victime.

 

  1. Le temps de répondre

Avant que ne débute la dernière semaine précédant l’élection, le juge considérera que le candidat disposait du temps pour répondre.

Dans ces conditions, le candidat visé par une attaque adverse ne doit pas considérer qu’il tient là un moyen permettant d’obtenir l’annulation de l’élection de son adversaire dans le cas où ce dernier l’emporterait. En effet, le juge considérerait que le candidat visé disposait du temps pour répondre et n’annulerait pas l’élection.

Ainsi, des attaques portées quarante-huit heures avant le scrutin peuvent être de nature à entraîner l’annulation des élections, alors que le même acte, s’il avait été commis une semaine plus tôt, n’aurait pas abouti à une telle décision (CE, 4 novembre 2002, n°236441).

Par conséquent, tant qu’une réponse aux allégations adverses est possible, il convient de la faire connaître !

De surcroît, le juge ne considère jamais que le candidat visé faisait face à un « élément nouveau » si un tract adverse ne fait que reprendre une information déjà débattue, plus tôt dans la campagne (Conseil constitutionnel, décision n°2002-2739 AN du 5 décembre 2002, A.N., Meurthe-et-Moselle, 7è circ.).

Enfin, l’annulation ne sera pas non plus encourue si la nouvelle imputation est trop floue. Ainsi, par exemple, le Conseil d’Etat a refusé de voir une manœuvre de nature à entraîner l’annulation de l’élection dans la diffusion, la veille du premier tour dans la commune de Caveirac, d’un tract affirmant que « Caveirac n’est pas un fonds de commerce, méfiez-vous des personnes peu scrupuleuses ! En votant pour notre liste, vous protégez Caveirac ! Le bien-être de tous plutôt que l’enrichissement de quelques-uns » (CE, 24 novembre 2008, n°317380).

 

  1. Les moyens matériels de répondre

Le juge combine le critère de temps avec celui des moyens matériels. En effet, il est possible de répondre, même peu de temps avant le scrutin, si une accusation est diffusée par simple tract dans un nombre réduit de boîtes aux lettres. A l’inverse, il sera impossible de répondre, la veille du scrutin, à une interview publiée dans un quotidien régional ou à un tract massivement distribué dans la commune le vendredi précédant le scrutin, dès lors que la distribution d’un document électoral et la diffusion d’un message électronique seront interdites quelques heures plus tard, à partir du samedi à 00h00.

 

  1. L’utilité au fond de la réponse

Enfin, le juge s’assure que la réponse, en plus d’être possible matériellement, était possible quant au fond des propos.

En effet, bien que le candidat dispose parfois du temps nécessaire et des moyens matériels de diffuser une réponse, certaines attaques sont si graves que leur nature, d’après le juge, « exclut une défense utile de la part de l’intéressé ».

C’est le cas lorsque des imputations injurieuses et diffamatoires mettant en cause la vie privée et les bonnes mœurs d’un candidat ont été massivement diffusées. Malgré le temps disponible pour répondre, le Conseil d’Etat a ainsi annulé une élection municipale en présence de tracts à caractère « violemment injurieux » et incluant des attaques personnelles injurieuses et diffamatoires mettant en cause l’honnêteté du maire sortant.

Ces attaques excluant toute défense utile par leur gravité se rencontrent toutefois très rarement dans la jurisprudence. Dès que des preuves pourront être apportées pour contredire le propos adverse, le juge considère que la nature de l’attaque ne prive pas la personne visée de la capacité de répondre.

Me Philippe BLUTEAU, avocat associé, Cabinet Oppidum Avocats.