La sincérité du budget de l’Etat mise en question par la Cour des comptes

14 mars 2024

Dans son rapport public annuel 2024, consacré à l’adaptation au changement climatique, la Cour des comptes dénonce une nouvelle fois l’optimisme de la trajectoire financière du gouvernement. Les mesures de rattrapage prises à la hâte, sans concertation, ne favorisent pas la lisibilité, ni la prévisibilité, attendues des exécutifs locaux pour l’élaboration de leurs budgets.

La Cour des comptes, dans la première partie de son rapport exposant la situation des finances publiques, rappelle que les textes financiers de l’année 2024 ont été bâtis à l’automne 2023 sur un scénario macroéconomique très favorable d’une croissance de 1,4 %, justifié alors, selon le Gouvernement, par un repli progressif de l’inflation et une diminution du taux d’épargne des ménages.

Mais, rapidement, ce scénario macroéconomique est apparu improbable, et toutes les prévisions de croissance pour 2024 des organismes nationaux et internationaux ont été abaissées au cours des derniers mois, amenant finalement le Gouvernement à annoncer, mi-février 2024, une révision de sa propre prévision à 1 %, au-dessus du consensus des économistes qui se situe à 0,7 %.

Comme l’indique la Cour des comptes, la moindre croissance prévue pour 2024 risque de fragiliser, voire de rendre caduque la trajectoire pluriannuelle 2023-2027 inscrite dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) promulguée le 18 décembre 2023. Pour conserver l’objectif de déficit à 4,4 points de PIB en 2024, le Gouvernement a procédé à l’annulation de 10 milliards d’euros de crédits sur le budget de l’État. Cela sera-t-il suffisant pour parvenir à un ajustement structurel de 0,3 point de PIB dès 2025 ?

Retour sur la situation des finances publiques et la responsabilité de l’Etat dans cette dégradation généralisée.

  • Une baisse sensible des recettes de l’Etat liée à la suppression de deux grands impôts locaux

À l’inverse de ce qui avait été constaté par la Cour des comptes en 2021 et en 2022, les prélèvements obligatoires ont progressé spontanément à un rythme très inférieur à celui de l’activité en 2023. Couplée à des mesures de baisses d’impôts (- 4,2 Md€), cette atonie des recettes publiques a entraîné une diminution, inédite, de 1,4 point du ratio de prélèvements obligatoires, qui s’est établi à 44,0 points de PIB en 2023.

En 2023, dernière année d’acquittement de la taxe d’habitation, l’Etat s’est privé de 2,8 milliards d’euros de recette fiscale. La suppression de moitié de CVAE en 2023 a coûté 4,2 milliards d’euros en 2023 et 0,4 milliard d’euros en 2024. La suppression de la CVAE restante étalée sur quatre ans (2024-2027) coûte cette année 1 milliard d’euros…. L’APVF avait pourtant alerté le gouvernement sur l’opportunité d’une telle réforme dans le contexte actuel.

  • Un niveau de dépenses publiques élevé résultant en grande partie des administrations centrales

Le niveau de dépenses publiques resterait en 2024 supérieur à son niveau d’avant-crise. Après avoir atteint 1 522,5 Md€ en 2022, la dépense publique a, selon les prévisions du Gouvernement, continué de croître en valeur en 2023 (+ 3,3 %) et augmenterait de nouveau en 2024 de + 3,2 % en valeur, et de 2,5 % en volume (hors inflation).

Cette progression de 2,5 % en volume, toute administration publique confondue, en 2024, résulterait en grande partie de la dépense des administrations centrales (État et organismes divers d’administration centrale) qui augmenterait de + 3,1 %, et dans une moindre mesure des organismes de sécurité sociale. Les dépenses publiques locales n’augmenteraient que de 0,7 %.

La dynamique des dépenses des administrations publiques centrales prévue par la LFI en 2024 résulte de plusieurs éléments :

  • la forte progression de la charge de la dette de l’État (+ 9,5 Md€) liée, en plus de son augmentation en volume, à la hausse des taux d’intérêt qui a renchéri le coût des titres émis ces deux dernières années.
  • la mobilisation de moyens importants pour financer les priorités du Gouvernement (planification écologique avec 7 Md€ de crédits supplémentaires en LFI, le « Pacte enseignants », la montée en charge des lois de programmation sectorielles) et de la quasi-absence de mesures d’économie en contrepartie.
  • les différentes mesures de revalorisation des agents publics annoncées en juin 2023, avec notamment celle du point d’indice de la fonction publique de 1,5 % au 1er juillet 2023, pèseront à hauteur de 2,0 Md€ sur le budget de l’État en 2024, représentant 0,8 Md€ de plus qu’en 2023.
  • le Gouvernement n’a pas intégré d’hypothèse de revalorisation du traitement des agents publics, dans un contexte où l’inflation attendue en 2024 est encore significative (2,5 %) et où les revalorisations de 2022 et 2023 sont restées inférieures à la hausse des prix ces deux années.

Pour la Cour des comptes, les économies annoncées par le Gouvernement en février 2024 à hauteur de 10 Md€, non prévues en loi de finances initiale, représentent un « défi ». Les crédits correspondant ont été annulés sur le budget de l’État par décret du 21 février 2024 : « il convient maintenant que les mesures qu’impliquent ces économies soient rapidement identifiées dans les différents ministères, et les conditions de leur mise en œuvre documentées. »

  • Vers une crise des finances locales ?

Les administrations publiques locales, qui étaient à l’équilibre en 2022, deviendraient déficitaires (- 0,3 point de PIB en 2023 puis – 0,2 point de PIB en 2024).

La dépense publique locale progresserait, selon le PLF 2024, de 0,7 % en volume en 2024. Cette dynamique est exclusivement liée à la reprise de l’investissement, témoignant d’une bonne gestion locale. Les collectivités territoriales ont diminué leurs dépenses réelles de fonctionnement en 2023 (- 0,1%) et en 2024 (- 0,4%), avec des baisses généralisées sur les lignes achats, rémunérations et prestations sociales. La croissance des investissements est de 6 % en 2024, contre + 3,7 % en 2023, ce qui était loin d’être gagné.

La dégradation des finances locales résulterait surtout, selon la Cour, de la chute des recettes locales, et notamment des droits de mutation à titre onéreux.

Pour la Cour, le déficit des APUL pourrait être encore plus prononcé compte tenu du risque de sous-estimation de la baisse de ces dernières, mais également en l’absence de « mécanismes contraignants ».

  • 10 milliards d’euros d’économies : des efforts encore très insuffisants pour la Cour des comptes

L’ambition du Gouvernement de parvenir à un ajustement structurel de 0,3 point de PIB en moyenne chaque année entre 2025 et 2027 supposerait, selon la Cour des comptes, « une maîtrise inédite de la dépense publique primaire », qui doit s’ajouter à l’effort annoncé pour 2024 : ainsi, par rapport à l’évolution tendancielle des dépenses avant-crise (2015-2019), « ce sont près de 50 Md€ d’économies qu’il faudrait réaliser d’ici 2027 ».

La Cour note que les 12 Md€ d’économies prévues pour 2025, qui seront identifiés grâce à la revue des dépenses qui se poursuit, à parité entre l’État et la sécurité sociale, qui seraient à conforter en 2026 et 2027, ajoutées à celles qui sont anticipées du fait des réformes sur le marché du travail (de l’ordre de 8 Md€ à l’horizon 2027), représenteraient ainsi moins de la moitié de l’effort nécessaire au respect de la trajectoire jusqu’en 2027…

Celui-ci suppose non seulement la réalisation de ces économies mais aussi, pour un montant comparable, un net ralentissement de l’évolution spontanée des dépenses, qui n’est pas étayé à ce jour, en dehors des effets durables de la réforme des retraites et de l’assurance chômage.

Pour la Cour, qui réitère les recommandations qu’elle a formulé en juin 2023, les revues doivent porter sur un périmètre large, s’inscrire dans la durée, être axées sur la qualité de la dépense et être sous-tendues par une volonté politique forte. Au-delà des seules revues de dépenses, l’effort d’économie nécessaire devra préserver les dépenses de nature à soutenir durablement l’activité économique et la transition écologique afin de concilier au mieux l’ajustement budgétaire et l’amélioration du potentiel de croissance.

Avec un fonds vert réduit à peau de chagrin, cette dernière recommandation est loin d’être garantie… Avec 80 % d’investissement public local, il est illusoire de croire que les objectifs climatiques nationaux seront atteints sans l’action des collectivités territoriales, ni sans moyens financiers. Si le gouvernement ne prend pas la mesure des enjeux d’adaptation au changement climatique, s’il ne souhaite pas assumer cette charge, les collectivités territoriales, elles, sont prêtes à prendre pleinement leur part dans ce défi. Pour ce faire, il est urgent de leur rendre des marges de manœuvre financières.