XXèmes Assises : compte-rendu de l’atelier A relatif à la délinquance

25 septembre 2017

1ère séquence / Présentation par Grégoire Le Blond et Jean-Pierre Bouquet

 

Les principales tendances qui impactent le domaine des politiques publiques locales de sécurité:

  • Mutations de la présence policière dans les territoires
  • Le développement de la vidéoprotection
  • Le développement de la collaboration
  • Création des « Zones de sécurité prioritaire »
  • Depuis 2015, l’émergence du risque terroriste

 

Mutations de la présence policière dans les territoires :

En 2003, le gouvernement renonce à la doctrine d’emploi relative à la police de proximité suite au bilan relativement négatif tiré de cette expérimentation par l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) et les remontées de différents syndicats de policiers.

Par ailleurs, à l’initiative de la LOPSSI du 29 août 2002, les cartes gendarmerie et police ont été rationnalisées pour mieux s’adapter aux évolutions de la répartition de la délinquance. Un processus qui dans les faits a constitué un premier pas vers en matière de désengagement de l’Etat.

Vint ensuite le processus de la Révision générale des politiques publique (RGPP) qui a entrainé des mouvements de rationalisation et de réaffections de façon à ce que « la police puisse exercer ses compétences sur des ensembles urbains plus vastes et cohérents, et la gendarmerie sur les autres espaces » (cf. rapport du CMPP du 4 avril 2008).

Dans les faits, dans le sillage de la RGPP, 13.700 postes de gendarme et de policiers nationaux ont été supprimés, obligeant les collectivités et notamment les villes à combler ce désengagement par la création de postes de policiers municipaux. Sur ce sujet, une enquête publiée par l’APVF en septembre 2012 intitulée « Les moyens consacrés à la sécurité dans les petites villes de France » révélait que près de 37% des petites villes avait été directement impacté par une fermeture de commissariats ou gendarmerie et/ou une réduction des effectifs d’agents des forces nationales. Cette situation a abouti à un transfert de charge déguisé de l’Etat vers les communes et à une tendance à la judiciarisation de la police municipale, c.-à-d. à une confusion accrue entre les missions des policiers municipaux et celles des agents des forces nationales.

 

 

Mutations de la présence policière dans les territoires :

Sous le quinquennat Hollande, les efforts déployés en matière de sécurité ont abouti à la création de 8.837 postes de policiers depuis 2017, sans que cela n’entraîne pour autant de réactivation de la police de proximité dont la présence est regrettée par nombre d’acteurs de terrains.

L’essentiel de ces créations de postes (environ 5.000 postes) ont été fléchées vers les Zones de sécurité prioritaire, principalement au sein des grandes aires urbaines.

Créées en 2013, les Zones de sécurité prioritaire sont aujourd’hui au nombre de 80, dont 16 sont situées des petites villes, soit 20%de l’effectif total des ZSP. A noter qu’au sein de nombreux territoires, la création des ZSP a entraîné le déplacement, la nomadisation de la délinquance et non son éradication. C’est notamment ce constat que l’APVF a transmis en décembre 2014 à Bernard Cazeneuve, alors Ministre de l’Intérieur.

 

Le développement de la collaboration et de la médiation en chiffres :

– Depuis 2003, les communes ont la possibilité, et même l’obligation pour celles qui comptent plus de 10.000 habitants de créer des Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) et depuis 2007, ces conseils peuvent se décliner à l’échelle intercommunale. Instances de coordination, ces conseils sont de précieux outils d’échanges d’informations entre acteurs locaux (PM, gendarmerie, bailleurs sociaux, CAF, SNCF, La Poste, etc.) et de détection des situations à problème. Pour certains élus de l’APVF, le CLSPD est ainsi « un excellent baromètre pour détecter la radicalisation ». Aujourd’hui, on dénombre plus de 900 CLSPD et 100 CISPD sur tout le territoire national : preuve que la collaboration en matière de sécurité locale suit son chemin.

– Les conventions de coordination, qui permettent une complémentarité entre actions de la Police municipale et Police nationale / Gendarmerie ont connu un regain d’intérêt important depuis 2012 et la publication du décret permettant ne coordination renforcée grâce à la mise à disposition de nouveaux matériels de communication.

– A noter enfin, que depuis le début des années 2000, le recours à la médiation s’est largement professionnalisée et développée au sein des collectivités. Pour preuve, il existe aujourd’hui entre 6.000 et 7.000 médiateurs présents dans l’espace public selon les chiffres qui nous ont été transmis par Laurent Giraud, Directeur de France médiation lors de son audition par les membres de la Commission de la Sécurité et prévention de la délinquance de l’APVF.

 

Le développement de la vidéoprotection :

Notre enquête réalisée en 2015 sur les pratiques des petites villes en matière de sécurité éclaire d’autre part une tendance lourde qui est celle de la progression de la vidéo-surveillance dans les dispositifs de prévention, ce qui nous amène à penser que cet outil fait désormais l’objet d’un relatif consensus politique même si ces bénéfices peuvent être nuancés. En effet, alors que plus d’un tiers des petites villes disposent déjà d’outils de vidéo-surveillance, à terme, ce sont ainsi 60% des petites villes qui pourraient être munies de caméras de sécurité. Cela s’explique par la posture incitative de l’Etat qui via le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, crée en 2007, a financé pour près de 200 millions l’installation de tels équipements. De façon générale, l’Etat propose de subventionner entre 20% et 30% des équipements en question, voire jusqu’à 50% quand il s’agit d’installation en zones de sécurité prioritaire. Mais l’APVF constate que nombre de petites villes n’ont pas accès à ces financements, cela a fait l’objet d’une alerte continue depuis 2015 auprès du Comité interministériel de prévention de délinquance et de la radicalisation (CIPDR) par l’APVF.

A noter également que la généralisation des intercommunalités depuis 2010 a permis aux élus de développer des syndicats de diverses formes, capables d’assumer les coûts inhérents à l’équipement en vidéo-surveillance.

 

Lutte et prévention contre le risque terroriste:

Depuis 2015, plans nationaux et circulaires ont entériné un certain de devoirs et de contraintes pesant sur les élus et les communes en termes de sécurisation des sites et des établissements scolaires, et de transmission de l’information aux services de l’Etat (services préfectoraux, CIPDR etc.) avec à la clé un certain nombre de dispositifs financiers (voir diapositive).

 

B. Quelles perspectives d’avenir ?

 

Sécurité dans les territoires, le retour de l’Etat ?

– Le Président Emmanuel Macron a fait part de sa volonté d’amplifier ce mouvement en créant 10 000 postes de policiers et gendarmes supplémentaires en 5 ans.

 

Extrait du programme présidentiel d’Emmanuel Macron : « Nous recruterons 10 000 policiers et gendarmes supplémentaires en 5 ans, sur la base de 7 500 policiers et 2 500 gendarmes. Ces effectifs nouveaux seront affectés en premier lieu dans les zones prioritaires. »

 

Le programme du Président Macron évoque également la création « d’une police de sécurité quotidienne, qui devra développer une connaissance approfondie des lieux et des habitants qu’elle sera chargée de protéger et d’entendre. » S’il ne s’agit pas de recréer une police de proximité, l’enjeu est de déployer « une police mieux ancrée dans les territoires dont elle a la charge. Une police qui connaît la population est plus à même de résoudre les problèmes locaux. »

Le Ministre de l’Intérieur Gérard Collomb est également revenu sur la création d’une « police de sécurité quotidienne » et a insisté sur le fait qu’il existe « certains territoires qui se sentent exclus de la République ». Il y a une volonté commune de l’exécutif de « recentrer les fonctionnaires sur leur cœur de métier en allégeant les tâches administratives » ce qui implique la montée en puissance de certains dispositifs liés à la dématérialisation.

– Si l’Etat s’attèle effectivement à réassumer ses missions régaliennes liées à la protection de la population, cela devrait effectivement contribuer à mettre à la tendance à la judiciarisation de la police municipale, c.-à-d. à la confusion accrue entre les missions des policiers municipaux et celles des agents des forces nationales.

Des contraintes importantes qui tendant à s’amplifier :

– Lors de la Conférence nationale des territoires du 17 juillet dernier, le Gouvernement a fait part de sa volonté de voir les collectivités diminuer leurs dépenses de 13 milliards d’euros supplémentaires : il envisage pour cela de baisser les dotations dès 2019. Une décision qui pourrait impacter lourdement les budgets dédiés à la sécurité et la prévention de la délinquance dans les petites villes, et tout particulièrement sur les politiques locales de médiation.

– Dans un contexte caractérisé par l’essor du terrorisme radical religieux sur notre territoire, les collectivités sont appelées à fournir davantage d’effort en matière de prévention et de protection à la demande de l’Etat, et cela implique de nombreux coûts directs et indirects pour les collectivités. La sécurisation des sites sensibles et des établissements scolaires oblige par exemple à assumer des coûts supplémentaires importants. Exemple à Chantepie : le Préfet de département a écrit à tous les élus locaux pour les inciter à « contrôler les accès des personnes, des véhicules et des objets entrants des bâtiments publics » et à « restreindre voire interdire le stationnement et/ou la circulation aux abords des bâtiments publics, des lieux de cultes et des établissements scolaires » : des missions difficilement tenables au regard de nos budgets toujours plus restreints.

D’autre part, nombreux sont les maires notamment de petites villes à devoir renoncer à leurs manifestations culturelles comme à Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) ou à Villers-sur-Mer (Calvados) – donc à renoncer à ce qui fait une partie de l’attractivité du territoire auprès des habitants et des touristes.

– L’annonce faite de la diminution des emplois aidés (dispositif de type CUI-CAE) fait peser le risque d’un démembrement partiel des effectifs dédiés à la sécurité et à la prévention de la délinquance dans les petites villes. Selon l’APVF en effet, les petites villes représentent aujourd’hui environ 5.000 emplois aidés menacés dont un certain nombre de postes dédiés à la médiation, à la prévention comme les ASVP.

 

Le maire, positionné comme un intermédiaire stratégique

– La Police Municipale ne devrait vraisemblablement pas voir son périmètre d’action évoluer sous le quinquennat qui débute. En effet, le gouvernement n’a fait aucune annonce en ce sens. Certains organismes, notamment des syndicats professionnels, ont plaidé pour « judiciariser » davantage la Police municipale mais n’ont pas eu gain de cause pour l’heure.

– Récemment, l’Etat a cherché à conforter les élus locaux comme un de ses interlocuteurs stratégiques et un partenaire de ses services dans un contexte post-attentat. Le quasi-doublement en 2017 des crédits dédiés au FIPDR, un fonds destiné aux actions des collectivités en est une des preuves. Par ailleurs, les mesures prises dans le cadre du Plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme en mai 2016, ainsi que l’organisation d’une Journée dédiée aux territoires mobilisés contre le terrorisme en novembre 2016 illustrent à plus d’un titre la volonté de positionner les élus locaux comme des interlocuteurs privilégiés des services de l’Etat. Ex. Les élus des communes situées dans la géographie prioritaire doivent co-élaborer avec l’Etat un Plan d’actions contre la radicalisation. A souligner également qu’en moins de deux ans, l’ensemble des préfectures a créé dans chaque département une cellule de suivi des individus radicalisés et d’accompagnement de leur famille. À ce jour, 70 d’entre elles mettent en œuvre des actions concrètes de prise en charge en partenariat avec les collectivités territoriales. Les collectivités sont par ailleurs représentées au CIPDR : comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. De fait, on sent clairement aujourd’hui cette volonté de la part de l’Etat d’octroyer une responsabilité stratégique aux élus locaux notamment dans le domaine de la prévention.

– Enfin, certains élus locaux, avec le soutien des conseils départementaux et des services de l’Etat développent des expérimentations en matière de médiation à l’école avec des résultats très prometteurs. Selon le retour de France médiation, dont nous avons auditionné le directeur, une expérience menée en milieu scolaire (160 établissements) – au niveau d’écoles élémentaires et de collèges – a montré que la présence de médiateurs permanents pendant deux ans a largement contribué à améliorer le climat scolaire et à pacifier les relations avec :

  • 46% de violences en moins ;
  • La quasi-disparation du cyber-harcèlement (-90%) ;
  • une baisse importante de l’absentéisme des professeurs.

De tels résultats confortent l’idée que le maire dispose de leviers importants pour prévenir significativement les actes de délinquance.

Les positions de l’APVF dans le débat sur la sécurité locale :

– L’APVF ne peut qu’accueillir que positivement les annonces du gouvernement concernant la création et le déploiement d’effectifs de forces nationales de l’ordre supplémentaires sur le territoire. A chaque fois que l’occasion lui en a été donnée, l’APVF a dénoncé le désengagement de l’Etat en matière de sécurité publique qui fait peser sur les collectivités le coût de la sécurisation et de la tranquillité publique dans les territoires. Elle note par ailleurs avec satisfaction la volonté du Président et du Ministère de l’Intérieur de :

  • créer une police « mieux ancrée les territoires » ;
  • revitaliser le maillage des forces de gendarmeries en zones rurales et périurbaines, là où de nombreuses brigades ont été supprimées durant la dernières décennies ;
  • concentrer une partie des efforts déployés en termes de création de postes dans les zones prioritaires, 20% des zones de sécurité prioritaire concernant des petites villes ;

Concernant la « police de sécurité quotidienne » : L’APVF attend toutefois certaines clarifications dans le sillage de ces annonces : s’agit-il vraiment de créer une police au sens propre du terme ? S’agit-il d’aller vers la création d’une police au sein de la Police nationale ? Que recouvre le champ de la « sécurité quotidienne » ?

–  A l’APVF, nombreux sont les élus qui rencontrent des difficultés à accéder aux crédits relatifs au FIPD notamment depuis le début de l’année 2016. Suite aux attentats, les demandes de subventionnement ont explosé. Et c’est la sécurisation des « sites sensibles » surtout situées au sein des grandes agglomérations qui a été privilégiée au risque de délaisser les demandes des petites villes. Cela est d’autant plus regrettable que les petites villes sont loin d’être épargnées par la radicalisation. Plusieurs d’entre elles constituent des foyers importants du radicalisme religieux.

– L’un des axes d’amélioration identifié par l’APVF aujourd’hui pour travailler en collaboration avec l’Etat sur la prévention de la délinquance et de la radicalisation, c’est le développement des travaux d’intérêt généraux (TIG) en collectivités. Insuffisamment développé aujourd’hui, le travail d’intérêt général revêt pourtant de nombreux avantages :

– il favorise la réinsertion et évite à de petits délinquants de rencontrer de plus grands caïds ou des imams radicaux. Il limite également de fait les risques, pour les publics fragiles, d’être en contact avec des recruteurs idéologiques ;

– Il est un bel outil pédagogique lorsqu’il est proportionné à l’infraction concernée.

– Il s’agit enfin d’un dispositif économique au regard du coût de la détention.

Pour rendre possible son développement, il est nécessaire, au sens de l’APVF, de renforcer les effectifs des services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) et de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), souvent débordés, pour leur permettre d’accompagner sereinement les collectivités souhaitant accueillir des « TIGistes ».

 

2ème séquence / Echanges

 

– Les élus présents discutent du « rappel à l’ordre » dont la mise en place fait l’objet d’une convention avec le procureur de la République. Ils jugent unanimement efficace cet outil à la disposition des maires, car il permet de mettre de sanctionner une personne, notamment un jeune, avant que celui-ci ne bascule réellement dans la délinquance comme le souligne Jean-Michel Catelinois. Les maires sont demandeurs d’outils supplémentaires de même calibre.

– Concernant l’hypothétique rapprochement des doctrines d’emploi des polices municipales et des polices nationales, les élus présents estiment qu’une telle évolution n’est pas désirable. Il faut selon eux s’en tenir à l’esprit de la loi qui fait de la police municipale le pivot de la tranquillité publique. Comme le rappelle Gilles Beder, Maire de Salins-les-Bains, la présence de la PM sert aussi à faire de la pédagogie de rue.

– D’autre part, certains maires ont alerté sur la mauvaise coopération entre les polices municipales et les polices nationales en zone gendarmerie, tandis que cette coopération fonctionne mieux en zone police notamment à l’échelle intercommunale.

– Les élus ont ensuite débattu de la vidéo-protection et de son intérêt. Dans sa ville de Trèbes, Eric Menassi revient sur son expérience : depuis 2 ans, 35 caméras et 8 agents de PM ont été déployés sur sa commune. Et si la situation s’est améliorée du point de vue de la tranquillité publique, le maire s’interroge : alors que des efforts importants ont été faits, jusqu’où faut-il aller en termes de déploiement de dispositif pour agir efficacement sur l’insécurité et sur le sentiment d’insécurité ? Il estime que les maires doivent rappeler collectivement à l’Etat que la sécurité est une compétence régalienne.

– De façon générale, les élus présents s’accordent sur les problèmes en termes de montage de dossier et l’insuffisance de l’ingénierie à leur disposition pour accéder aux crédits disponibles pour aider les collectivités à sécuriser leur périmètre.