Les collectivités locales et la crise énergétique : vers la transition ?

7 juillet 2022

Le onzième numéro de la collection Accès Territoires réalisé par la Direction des études de La Banque Postale se penche sur les conséquences de la crise énergétique dans les budgets des collectivités locales.

1. Les raisons de la hausse des prix de l’énergie

Ce numéro revient dans un premier temps sur les raisons de la hausse des prix de l’énergie et plus globalement sur le fonctionnement complexe des marchés du gaz et de l’électricité.

  • Le choc des crises :

Les séquelles de la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont déclenché un choc de prix très violent.

Le prix du baril de pétrole de la mer du Nord (Brent) dépasse en juin 2022 les 100$. Fin 2019, il oscillait autour de 65$, tandis qu’au cœur de la crise Covid, en mars 2020, les cours du brut s’étaient effondrés à environ 20$. Dans un premier temps, c’est le redressement rapide de l’économie mondiale qui a engendré la reprise des cours. Avec le déclenchement de la guerre en Ukraine, les opérateurs sur le marché pétrolier ont craint une rupture des approvisionnements en provenance de Russie, 2e pays producteur de pétrole brut, qui a occasionné cette fois-ci la flambée des cours.

Contrairement aux années 1970 au cours desquelles la hausse des prix de l’énergie s’était concentrée sur le pétrole, le choc actuel touche aussi les prix du gaz et de l’électricité. Cela tient au fait que, depuis la fin de la guerre froide, les pays d’Europe de l’Ouest se sont progressivement tournés vers la Russie pour leur approvisionnement en gaz.

Les mécanismes qui déterminent le prix de l’électricité sur le marché européen étant liés au prix du gaz, il a donc, lui aussi fortement augmenté au cours des derniers mois.

  • L’effet boule de neige :

Au-delà de la hausse du coût direct de la facture énergétique, la diffusion de cette dernière à divers secteurs de l’économie contribue à un renchérissement des approvisionnements et des prix des services des collectivités locales : cela va du coût de la construction, qui incorpore aussi les tensions sur certaines filières (bois, métaux, etc.), aux prix de produits manufacturés (les meubles pour les équipements collectifs), en passant par le coût des transports. Ces hausses de prix commencent d’ailleurs à se retrouver dans les rémunérations, notamment à travers l’indexation du Smic à l’inflation passée.

  • Perspectives :

En tout état de cause, « l’énergie coûtera plus chère demain qu’hier ». La transition énergétique implique en effet des investissements importants (entre 2 et 3 points de PIB par an selon les dernières estimations de Rexecode) qu’il faudra financer. Par ailleurs, dans un schéma incitatif/répressif, le prix de la tonne de carbone en Europe va augmenter dans les années à venir afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui renchérira les coûts de production des secteurs utilisateurs.

2. Energie : quel équilibre pour les collectivités locales entre dépenses contraintes et potentielles recettes ?

Le rapport analyse, dans un deuxième temps, la contrainte de la hausse des prix de l’énergie sur les comptes locaux sans oublier que le secteur de l’énergie peut également être source de recettes, notamment fiscales.

  • Des petites villes plus impactées par les dépenses d’énergie :

L’étude LBP établi un état des lieux chiffré de l’exposition des collectivités locales aux dépenses d’énergie, en tant que « consommatrices ». Les collectivités locales utilisent les ressources énergétiques afin de faire fonctionner les équipements publics et d’assurer les services à la population. Les besoins sont donc différents d’une collectivité à l’autre en fonction des compétences que chacune porte, conduisant à des masses financières et des impacts budgétaires hétérogènes.

Ainsi, dans les budgets 2021, les dépenses d’énergie représentent 4,4 milliards d’euros toutes collectivités locales confondues, soit une moyenne de 62 euros par habitant (contre 53 euros par habitant en 2010, en progression moyenne annuelle de 2,1 % sur les 12 années). Elles représentent en moyenne 2,2 % des dépenses de fonctionnement. Les écarts sont toutefois importants selon le type de collectivités, avec des poids variant de 0,5 % pour les régions et CTU à 4,0 % pour les communes en 2021.

Il ressort de l’étude LBP que les communes de 3 500 à 30 000 habitants sont les plus impactées par les dépenses d’énergie : cette strate supporte en moyenne plus de dépenses d’énergie, l’écart allant de 2 euros par habitant comparativement à la strate inférieure, jusqu’à 10 euros par habitant par rapport aux communes de plus de 100 000 habitants. Ces communes sont en général celles qui sont le plus exposées aux charges dites de centralité qui se traduisent notamment par la gestion d’équipements et de services publics dont bénéficient également les habitants des communes voisines de plus petite taille, et qui n’ont pas été transférées à leur groupement contrairement à ce qui peut se produire dans des grandes villes (la voirie, par exemple, transférée de droit aux communautés urbaines et métropoles).

Les services dont les besoins en énergie sont les plus importants sont de très loin les services généraux des administrations publiques locales, avec 31 % des besoins, et l’éclairage public (13 %). Les autres services oscillent entre 8 % (enseignement du 1er degré) et 1 % (transports) des besoins.

D’autres critères exogènes, comme la situation géographique des collectivités, conduisent à des consommations différenciées. Les besoins en luminosité ou en chauffage sont ainsi plus importants dans les zones moins ensoleillées et/ou plus froides, ou encore besoins en carburants plus importants pour les transports scolaires dans des zones rurales. Leur politique d’économie d’énergie, à travers le choix de leurs installations (pompe à chaleur, chaudière, radiateurs électriques par exemple), ou de leurs actions (arrêt ou modulation de l’éclairage public…) fait également varier le recours à l’énergie.

  • Une fiscalité locale de l’énergie avec peu de prise :

Une partie de la fiscalité locale repose sur l’énergie via sa consommation, les équipements pour la produire ou encore la valeur ajoutée dégagée par les entreprises qui en produisent.

Au sein de cette fiscalité, on distingue les taxes assises intégralement ou seulement partiellement assises sur une ressource énergétique.

On dénombre cinq taxes intégralement assises sur une ressource énergétique qu’il s’agisse de l’électricité, du gaz ou des carburants : l’imposition forfaitaire sur les pylônes, les impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux (IFER) du secteur énergétique, la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE), la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et, outre-mer, la taxe sur les carburants. Elles s’élèvent à près de 15 milliards d’euros en 2021, soit 9 % des recettes fiscales locales. Certaines d’entre elles sont indexées sur l’inflation voire sur l’évolution du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties.

A noter que les collectivités peuvent marginalement agir sur cette fiscalité. Les seuls leviers disponibles résident, pour les régions, dans la possibilité de moduler les tarifs d’une partie de la TICPE et de la taxe sur les carburants mais dans des limites déterminées par la loi et qui sont, au demeurant, atteintes dans la grande majorité des collectivités. Pour le bloc communal et les départements, la possibilité de voter des coefficients sur les tarifs de TICFE a été supprimée en loi de finances pour 2021. Ils peuvent cependant augmenter leur produit d’IFER en développant par exemple les installations de production d’énergies renouvelables (éoliennes, panneaux photovoltaïques…). Cette dernière recette à l’échelle nationale est relativement faible mais elle peut représenter localement une ressource conséquente pour la collectivité concernée.

Cinq autres taxes perçues par les collectivités sont assises partiellement sur une ressource énergétique. Il s’agit de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et la cotisation foncière des entreprises (CFE) qui reposent notamment sur la valeur locative des locaux et terrains des entreprises dont celles du secteur de l’énergie ; l’octroi de mer qui est une taxe ultramarine indirecte sur les produits importés y compris les carburants, le gaz et l’électricité ; la TVA qui s’applique sur les prix de vente des produits y compris énergétiques et la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) assise sur la valeur ajoutée produite par les entreprises dont celles du secteur de l’énergie. Ces cinq taxes s’élèvent en 2021 à près de 90 milliards d’euros.

Le poids de la fiscalité locale de l’énergie peut être important pour une collectivité donnée. Si ces recettes ne représentent pas un poids substantiel observé à l’échelle nationale, elles peuvent en revanche être significatives sur un territoire donné. Ainsi pour les communes, les recettes fiscales intégralement assises sur une ressource énergétique (IFER, taxes sur les pylônes, TICFE, taxe sur les carburants) représentent en moyenne 2,4 % de leurs ressources fiscales (pour les communes percevant au moins une de ces taxes). Mais pour près d’un quart, cette fiscalité pèse plus de 10 % de la fiscalité totale (et même plus de 50 % pour 263 communes). Pour ce quart, il s’agit, à 65 %, de communes dont les recettes fiscales énergétiques sont uniquement composées de l’imposition forfaitaire sur les pylônes. Au global en revanche, la TICFE représente les deux tiers de la fiscalité énergétique communale.

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